"Dans la conception morale de la vie, il s’agit donc pour l’Individu de se
dépouiller de son intériorité, pour l’exprimer dans quelque chose d’extérieur.
Chaque fois qu’il y répugne, chaque fois qu’il se retient à quelque sentiment,
disposition, etc., d’ordre intérieur ou qu’il y retombe, il pèche contre
lui-même, il se met dans un état de crise anxieuse. (...)
La philosophie
nouvelle s’est permis de substituer purement et simplement l’immédiat à «la foi
». Quand on agit ainsi, il est ridicule de nier que la foi a été de tout temps.
Elle entre ainsi dans la compagnie assez vulgaire du sentiment, de l’humeur,
des vapeurs, etc. En ce sens, la philosophie peut avoir raison de dire qu’il ne
faut pas s’en tenir à la foi. Mais rien ne l’autorise à prendre les mots dans
cette acception.(. . .)Il faut d’abord que l’individu se soit épuisé dans
l’infini, pour qu’il en soit au point où la foi peut surgir.
Le paradoxe de la foi
consiste donc en ceci que l’Individu est supérieur au général, de sorte que,
pour rappeler une distinction dogmatique aujourd’hui rarement usitée,
l’Individu détermine son rapport au général par son rapport à l’absolu, et non
son rapport à l’absolu par son rapport au général. On peut encore formuler le paradoxe
en disant qu’il y a un devoir absolu envers Dieu ; car, dans ce devoir,
l’Individu se rapporte comme tel absolument à l’absolu. Dans ces conditions,
quand on dit que c’est un devoir d’aimer Dieu, on exprime par-là autre chose
que précédemment ; car, si ce devoir est absolu, la morale se trouve rabaissée
au relatif. Toutefois, il ne suit pas de là que la morale doive être abolie,
mais elle reçoit une toute autre expression, celle du paradoxe, de sorte que,
par exemple, l’amour envers Dieu peut amener le chevalier de la foi à donner à
son amour envers le prochain l’expression contraire de ce qui, au point de vue
moral, est le devoir. (…)
Nous trouvons un
paradoxe de ce genre dans l’histoire d’Abraham. Au point de vue moral, le
rapport qu’il soutient avec Isaac s’exprime en disant que le père doit aimer
son fils. Ce rapport moral est ainsi ramené au relatif et s’oppose au rapport
absolu avec Dieu. (...) D’une part, la foi a l’expression du suprême
égoïsme : elle accomplit le terrifiant, qu’elle accomplit pour l’amour
d’elle-même ; d’autre part, elle est l’expression de l’abandon le plus absolu,
elle agit pour l’amour de Dieu. Elle ne peut entrer par médiation dans le
général ; car, par-là, elle est détruite. La foi est ce paradoxe, et l’Individu
ne peut absolument se faire comprendre de personne".
Soren Kierkegaard, Crainte et Tremblement.
Terrence Malick fut traduit dans le passé des textes de Martin Heidegger, philosophe influencé par les pensées de Kierkegaard qu'il citait souvent.
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